Joël est l’un de ces fidèles. Il a récemment été arrêté sous l’emprise de méthamphétamine, et a fait appel aux services d’une prostituée. En fait, c’est la troisième fois que ce genre de comportement se produit ces deux dernières années.
À quoi ressemblent les soins pastoraux pour lui ? Quel est le rôle de la discipline d’église dans sa vie ?
Le fait que Joël ait été diagnostiqué bipolaire et qu’il ait à nouveau manqué de médicaments, précipitant potentiellement l’épisode maniaque au cours duquel il est resté éveillé toute la nuit en consommant de la méthamphétamine et en ayant des relations sexuelles illicites, devrait-il faire une différence ? Il n’y a pas de réponses faciles. En réfléchissant à la juxtaposition des questions de santé mentale et de discipline d’église, nous devons nous méfier de deux extrêmes.
D’abord, nous ne voulons pas éviter les soins pastoraux correctifs de peur d’ajouter « l’insulte à l’injure » pour ceux qui luttent contre une maladie mentale. Ensuite, nous ne voulons pas nous occuper de quelqu’un atteint d’une maladie mentale de la même manière que nous prendrions soin de quelqu’un qui n’est pas confronté à ce genre de problème. Nous voulons que la vérité biblique et l’amour nous guident.
Qu’est-ce qu’une maladie mentale ?
Les troubles mentaux (ou psychiatriques) sont des perturbations significatives de la pensée, des émotions ou du comportement qui provoquent une détresse chez la personne et souvent un dysfonctionnement important du fonctionnement quotidien. De nombreux problèmes relèvent de la maladie mentale, notamment la schizophrénie, la bipolarité, les troubles obsessionnels compulsifs, la dépression sévère, ainsi que des problèmes tels que la toxicomanie, l’autisme et la démence.
En raison de l’hétérogénéité de ce que l’on entend par la maladie mentale (sans parler des nombreuses causes potentielles de ces troubles), nous devons nous garder d’adopter une approche unique. Chaque personne en difficulté est différente. Un diagnostic de santé mentale est un point de départ, pas une fin en soi, pour comprendre l’expérience d’une personne.
Une grande partie de la souffrance mentale est cachée, y compris parmi les chrétiens. Beaucoup de ceux qui portent une étiquette psychiatrique ont honte et sont stigmatisés. Ils peuvent déjà se sentir déconnectés du corps de l’église et même de Christ. D’après mon expérience, ils sont bien plus souvent « craintifs » et « faibles » plutôt que « désœuvrés » ou « désordonnés » (1 Thessaloniciens 5.14).
La maladie mentale implique toujours de la souffrance. Il serait sage que les responsables d’église ralentissent, prennent le temps de s’approcher de ceux qui ont le cœur brisé, comme le fait le Seigneur lui-même (Psaume 34.18). Mais la souffrance n’est pas la seule catégorie à prendre en compte. Tous les croyants vivent simultanément comme des saints, des souffrants, et des pécheurs de ce côté-ci de la gloire. Quand les gens souffrent de problèmes mentaux, la bataille avec leur nature pécheresse continue, et cette bataille peut avoir des conséquences significatives pour eux-mêmes ou pour les autres.
Le comportement pécheur peut être particulièrement visible dans certaines luttes pour la santé mentale, comme les excès maniaques, les rechutes multiples associées à la toxicomanie, les blessures relationnelles associées à certains troubles de la personnalité ou les accès de colère et de violence associés au syndrome de stress post-traumatique. Dans de tels cas, il devient même encore plus difficile de discerner les priorités des soins pastoraux pour cette sœur ou ce frère qui est à la fois souffrant et pécheur.
Qu’est-ce que la discipline d’église ?
Maintenant que nous avons quelques idées générales sur la maladie mentale, qu’en est-il de la discipline d’église ? Jonathan Leeman souligne,
La discipline d’église est le processus de correction du péché dans la congrégation et ses membres. La discipline d’église commence généralement en privé et de manière informelle, et ne s’étend à l’ensemble de l’église qu’en cas de nécessité. Dans sa phase finale, formelle et publique, la discipline d’église implique d’exclure une personne de l’église et de sa participation à la Table du Seigneur.
Nous voyons ce processus plus clairement en Matthieu 18.15-17. Pour la personne soumise à la discipline, le but est toujours de la restaurer, pas de la punir. Nous voulons voir les pécheurs impénitents revenir à Jésus !
Il est utile de considérer la discipline d’église sur un spectre. Dans un sens, tous les croyants sont soumis à la fonction de correction automatique de la parole de Dieu (2 Timothée 3.16 ; Hébreux 4.12). En lisant et en écoutant les Écritures, nous sommes personnellement condamnés – disciplinés – par l’Esprit de Dieu qui habite en nous, afin de vivre en accord avec la vérité biblique.
Mais Dieu nous fait aussi grandir à travers la communauté. Quand un ami s’approche de nous et nous dit « Hé, je suis préoccupé par tes interactions brutales au sein du petit groupe », Dieu, dans sa compassion, utilise cette personne pour nous aider à voir où nous avons péché (Matthieu 18.15). Cette pratique plus large de la discipline est une partie tout à fait normale de la vie chrétienne. Des conversations informelles mais intentionnelles, axées sur ce à quoi ressemble la vie pour Jésus, devraient caractériser notre vie corporelle et notre supervision pastorale.
Les étapes plus formelles de la discipline (Matthieu 18.16-17) ne sont pas seulement mises en œuvre pour ceux qui pèchent (nous péchons tous !) mais pour ceux qui pèchent de manière significative et autoritaire et qui ne se repentent pas malgré les multiples exhortations à revenir à la sécurité et à la beauté de la loi de Dieu.
Sept principes directeurs
Pour les assistants et les responsables d’église, le fait de voir le péché dans la vie de leurs frères et sœurs chrétiens devrait les amener à se poser cette question, « Qu’est-ce qui est le plus sage et le plus aimable à ce stade pour aider cette personne en particulier avec ces schémas de péché particuliers ? ». Répondre à cette question, cependant, est souvent plus compliqué quand la personne concernée souffre d’une maladie mentale. Alors, comment pouvons-nous associer notre compréhension de la maladie mentale et la discipline de l’église ?
Les lignes directrices générales suivantes ne sont certainement pas exhaustives. Dans chaque situation donnée, ce qui est le plus sage sur le plan pastoral est discerné dans la prière par une équipe de bergers réfléchis et compatissants qui connaissent bien leur peuple.
1. Personnalisez la maladie mentale
Familiarisez-vous avec les contours généraux des troubles psychiatriques dont vous savez que des membres de votre communauté souffrent, en vous efforçant de réfléchir à ces questions d’un point de vue biblique et théologique. Ensuite, personnalisez cette prise de conscience en ayant une conversation avec ces frères et sœurs, ainsi qu’avec les membres de leur famille, leurs conseillers et leurs médecins. Faites-vous une idée de leur vie quotidienne.
Où luttent-ils pour vivre leur foi ?
Où expérimentent-ils de la joie et du contentement ?
Comment l’église peut-elle mieux prendre soin d’eux ?
Il n’est pas nécessaire d’être un professionnel de la santé mentale pour connaître profondément une personne, mais plus la lutte est complexe, plus il est important d’élargir votre compréhension.
2. Agissez avec patience et douceur
La patience et la douceur sont essentielles (1 Thessaloniciens 5.14 ; Galates 6.1-2). Remarquez qu’il n’y a pas de période spécifique associée au processus de la discipline de l’église en Matthieu 18. En général, en dehors des cas les plus clairs, on peut s’attendre à ce qu’il y ait plusieurs, voire de nombreuses conversations tout au long du processus, en allant de la discipline d’église informelle à la discipline d’église formelle. L’administration de la discipline d’église ne se fait pas sur un coup de tête. Les bergers pieux s’inspirent de la description du grand prêtre d’Israël en Hébreux 5.2 :
Il peut traiter avec douceur les ignorants et les égarés, puisqu’il est lui-même en proie à la faiblesse, Hébreux 5.2
En cours de doute, demandez l’avis des professionnels de la santé mentale qui travaillent avec la personne concernée (en supposant qu’elle ait donné son consentement). Les décisions relatives à la discipline d’église formelle sont toujours importantes, même lorsqu’elles semblent claires. C’est d’autant plus vrai quand il y a des facteurs supplémentaires à prendre en compte dans le cas d’une personne souffrant d’un diagnostic psychiatrique.
Il n’est pas nécessaire d’être un professionnel de la santé mentale pour connaître profondément une personne.
3. Formulez des attentes sages
Réfléchissez dans la prière à comment les faiblesses de la personne pourraient tempérer vos attentes en matière d’obéissance. Une analogie avec l’éducation des enfants pourrait aider à comprendre ce que je veux dire. Dans l’éducation des enfants, l’âge et le stade de développement de nos enfants sont importants en ce qui concerne nos attentes spécifiques en matière d’obéissance et la manière dont nous les disciplinons devrait s’aligner sur ces différences. « Honore ton père et ta mère » s’applique aussi bien aux enfants de trois ans qu’à ceux de douze ans, mais nous avons de plus grandes attentes pour les enfants de douze ans.
Des facteurs supplémentaires chez l’enfant – comme la faim, la douleur, la maladie, le manque de sommeil – peuvent aussi justifier un ajustement des attentes. Par exemple, nous ne corrigerons peut-être pas notre enfant de trois ans qui a fait une crise de colère alors qu’il a de la fièvre et une angine.
Comment cela pourrait-il se passer pour quelqu’un qui a à la fois des problèmes de santé mentale et des problèmes de péchés récurrents ?
Il y a des années, j’ai été consulté au sujet d’un homme célibataire d’âge moyen qui était soumis à la discipline formelle pour paresse et manquement à l’obligation d’honorer ses parents. Après avoir eu une série d’emplois à mi-temps pendant des années, il n’avait pas travaillé depuis plusieurs années et il vivait avec ses parents âgés.
En apprenant à le connaître, j’ai en effet remarqué des endroits où ses tendances charnelles à la facilité et au confort menaient à la paresse. Mais il y avait plus que ça. Il luttait contre une anxiété incapacitante en société. De plus, j’ai constaté que ses compétences relationnelles et cognitives étaient altérées, ce qui l’empêchait sans doute de garder un travail. Les anciens et moi-même avons mis en place un plan d’accompagnement qui prenait en compte les vraies faiblesses et les incapacités de cet homme tout en l’encourageant à s’occuper de ses parents de manière plus proactive. Cependant, au vu de la situation, le processus de discipline formelle de l’église ne semblait dorénavant plus approprié.
4. Prenez soin de toutes les personnes concernées
En même temps, il est aussi important de prendre en considération l’impact de la lutte de la personne sur les membres de sa famille et sur l’ensemble du corps de Christ. La gravité et la chronicité de ces infractions préjudiciables influent sur l’étendue et la durée de la discipline ecclésiastique. Une femme qui a des inquiétudes au sujet de l’apathie et de la passivité de son mari au milieu sa grave dépression est une chose. Un mari dépressif qui est devenu violent verbalement ou physiquement envers sa femme est une autre affaire qui requiert une intervention pastorale plus urgente. Ou encore, considérez la différence entre une personne atteinte d’une psychose fluctuante qui perturbe parfois les réunions de l’église et cette même personne qui fait aussi des avances sexuelles non désirées à un autre membre de l’église.
Vous essayez simultanément de reconnaître et de traiter le mal fait aux autres, tout en apportant de l’espoir, de l’encouragement, et de la correction au pécheur souffrant. Autrement dit, vous cherchez à aimer plusieurs personnes à la fois : la personne qui souffre de maladie mentale, les personnes impactées négativement par ces troubles, et le corps de Christ au sens large.
5. Évaluez la repentance dans la prière
Évaluez dans la prière le niveau de repentance de la personne (2 Corinthiens 7.10-11). Souvenez-vous, les Écritures réservent les manifestations les plus graves de discipline d’église aux membres de l’église qui refusent de se repentir d’un péché clair et significatif. Les questions à considérer sont les suivantes (j’utiliserai « il » comme pronom générique) :
La personne comprend-elle ce qu'elle a fait ?
Est-elle affligée par ce péché devant Dieu et devant les autres ?
A-t-il demandé pardon à ceux contre qui il a péché ?
Fait-il le travail difficile de rétablir la confiance avec les autres ?
Se sert-il de toute aide raisonnable, y compris de celle des conseils et/ou des soins médicaux ?
Respecte-t-il les médicaments qui lui sont prescrits ?
Accepte-t-il une surveillance et une responsabilité pastorales accrues ?
Plus ces questions soulèvent de préoccupations, plus nous avons de raisons de poursuivre un processus de discipline ecclésiastique formelle.
6. Restez ouverts aux changements
Soyez prêts à changer de direction. Parfois, une décision concernant la discipline doit être repensée. Dans beaucoup de cas, il ne s’agit pas d’être insouciant, mais de gérer avec sagesse et humilité les informations et les points de vue supplémentaires qui apparaissent. Il est sans doute difficile de discerner la différence entre « ne peut pas » et « ne veut pas » chez une personne en difficulté. Parfois, nous réaliserons plus tard que nous nous sommes trompés d’un côté ou de l’autre – en étant trop indulgents quand une plus grande responsabilisation aurait été plus sage, ou en étant trop rapides à appliquer une discipline formelle alors qu’une plus grande patience et une plus grande miséricorde auraient été appropriées.
7. L’amour au-delà de la discipline
Qu'en est-il des cas (que l'on espère peu fréquents) où un fidèle atteint d'une maladie mentale doit être exclu des membres et de la Sainte Cène en raison d'un péché grave et impénitent malgré un processus de prière et de réflexion et de multiples demandes d'amour et d'avertissement ? Nous le faisons avec douceur et avec des larmes, en continuant de reconnaître la souffrance réelle de la personne ainsi que les péchés qui ont blessé d'autres personnes et jeté le discrédit sur l'Évangile.
Si possible, communiquez bien avec les personnes extérieures à l'église qui sont impliquées dans les soins de la personne (comme les conseillers et les médecins), car le processus disciplinaire peut avoir un impact sur l'état émotionnel de la personne, et les soignants pourraient avoir besoin d'une vigilance accrue. Préparez-vous à ce qu'une telle mesure puisse susciter la colère et/ou l'automutilation de la personne. Dans l'idéal, les membres de la famille et les amis comprennent la nécessité de cette dernière étape de la discipline ecclésiastique et peuvent apporter un soutien continu à la personne.
L'excommunion ne signifie pas que la personne n'a plus le droit de fréquenter votre église (une exception potentielle étant le préjudice causé aux autres membres de la communauté par sa présence continue). Mais cela signifie que la profession de foi de cette personne n'est plus considérée comme crédible et qu'elle est donc considérée comme un non-croyant. À quoi cela ressemble-t-il ? La personne est accueillie et encouragée à participer à la réunion, mais pas à la Sainte Cène, et les responsables et les membres continuent à l'exhorter à la repentance et à la foi en Christ.
Bien que cet article ne puisse pas aborder entièrement la complexité de l’exercice de la discipline d’église dans les cas de maladie mentale, j’espère que ces réflexions fourniront une perspective biblique et de conseils, alors que vous, ainsi que vos collègues pasteurs, cherchez à aimer avec sagesse ceux que Dieu vous a appelés à guider.
Article traduit avec autorisation, merci Lara !
https://www.desiringgod.org/articles/mental-illness-and-church-discipline